L’info et les jeunes : comment décrypter les nouvelles pratiques numériques
Arnaud Mercier, Université Panthéon-Assas
S’enquérir des pratiques d’information des jeunes est décisif dans un univers de la presse en pleine mutation, qui peine à renouveler son lectorat, et qui, donc, vieillit.
Considérant que c’est davantage aux rédactions de s’adapter aux nouvelles pratiques d’information à l’ère numérique, qu’aux publics d’accepter de suivre les consignes de lecture que les dispositifs médiatiques proposent, comprendre les pratiques des jeunes publics (en dessous de 25 ans) revient à anticiper sur ce qui sera à terme des pratiques d’information dominantes que les rédactions devront satisfaire.
En effet, il n’y a aucune raison de croire que les pratiques nouvelles d’aujourd’hui seraient liées à un effet d’âge et qu’elles disparaîtront en entrant dans l’âge de la pleine activité sociale.
Les jeunes d’aujourd’hui ne vont pas, avec le temps, subitement adopter les modes de consommation d’information de leurs parents ou grands-parents. Au contraire, leurs pratiques actuelles préfigurent les pratiques d’information de demain. Et toutes les entreprises de presse seraient bien inspirées de s’en soucier maintenant pour ne pas rater le train de leur futur.
Un indéniable effet générationnel
Alors qu’observe-t-on ? En France comme aux États-Unis, et un peu partout dans le monde développé. Les plus jeunes ont souvent des pratiques d’information aux antipodes des plus âgés, révélant par la même, l’existence d’un véritable effet de génération.
Les jeunes sont déjà entrés de plain-pied dans une mutation les faisant passer d’une culture médiatique à une culture numérique, là où leurs aînés restent plus dans la mixité des pratiques ou dans un schéma dominant de culture médiatique (au sens de médias écrits et audiovisuels habituels).
Si les jeunes continuent à lire des informations (contrairement au discours de déploration souvent entendu sur ces jeunes « qui ne lisent plus ») ils les lisent de plus en plus en ligne, selon une logique de substitution de supports.
Mais à cette substitution de supports est venue s’adjoindre une substitution d’écrans ! Les jeunes sont plus nombreux que leurs aînés à s’informer sur leurs smartphones que sur un ordinateur. Ils regardent plus souvent des vidéos et accèdent plus souvent à des sites d’information via leurs comptes de réseaux sociaux, principalement Facebook et à un degré moindre Twitter.
Ils entrent donc aussi dans une logique très forte de partage, les liens URL circulant aisément dans leurs communautés d’abonnés. Dans une étude américaine du Pew Research Center de 2012, 34 % des 18-24 ans accèdent régulièrement à de l’information via leurs réseaux socionumériques, 32 % des 25-29 ans, contre 10 % des 50-64 ans et seulement 2 % des 65 ans et plus !
Les arguments exposés par les jeunes pour expliquer leurs choix combinent la plus grande convivialité des réseaux, la mobilité du smartphone, et la gratuité de l’Internet (aspect jugé décisif), ce qui explique d’ailleurs qu’ils disent, aussi, lire la presse écrite gratuite assez régulièrement.
Les enseignements à en tirer sur l’information des plus jeunes
Voyons à grands traits ce que ces évolutions impliquent. Les plus jeunes ont des pratiques d’information souvent moins structurées que leurs aînés. Au gré des recommandations sociales de leurs amis, des choix (mystérieux) exercés par l’algorithme de Facebook, des moments de temps mort comblés par la consultation de son téléphone, ils accèdent à une information par bribes, par à-coups, en n’entretenant qu’un rapport assez lâche avec le nom du média.
On est loin du lien de confiance nourrit patiemment avec « son » journal, du rendez-vous quotidien avec « sa » rédaction. L’information peut vite devenir un flux décousu de nouvelles (recommandations, alertes push, coups d’œil furtifs sur son fil d’actu…) où domineront les informations plutôt insolites, rigolotes, people, bref : légères.
Cela ne signifie pas un désintérêt total pour les informations plus « sérieuses », mais elles seront consultées surtout si l’événement est jugé vraiment grave ou important, si cette information se donne à voir plutôt qu’à lire, si elle est d’accès gratuit plutôt que payant, si elle sait se rendre attrayante par une mise en forme numérique idoine plutôt que de rester figé sur un schéma qui associe sérieux de l’information donnée à austérité du format.
Les conséquences pour les médias d’information
Les médias d’information, à peine adaptés à la révolution copernicienne du « web first » – publier d’abord sur le site et penser ensuite la complémentarité avec la version papier – (et encore, ils n’y sont pas tous) doivent donc affronter une nouvelle révolution que les nouvelles pratiques leur imposent tel un défi : la révolution du « mobile first ».
Les jeunes ne reviendront pas sur un ordinateur fixe, arrivés à l’âge de maturité. Il faudra bien aller chercher ces lecteurs là où ils ont migré : sur les smartphones, en leur offrant donc des applis médias, des sites responsive design, ou mieux encore des sites pensés d’abord pour être vus sur un écran mobile.
Il faudra les croiser et entrer en dialogue avec eux, sur leurs réseaux socionumériques, en y étant actif aussi donc, en faisant d’un compte Twitter ou Facebook autre chose qu’une simple plateforme publicitaire en sus.
Et puisque les jeunes commencent à être actifs sur Snapchat, il faudra sans doute leur proposer sans tarder de l’information ici aussi.
L’autre défi de taille est d’arriver à monétiser l’audience en ligne de cette nouvelle génération qui a pris la (mauvaise) habitude de considérer l’information journalistique comme gratuite.
Mais le plus grand des challenges sera pour la presse d’arriver à adopter une culture de la mutation permanente. À l’ère numérique, les nouveaux outils, les nouveaux supports, les nouvelles narrations ne cessent d’émerger, par agrégation ou substitution aux précédents. Les jeunes en sont fréquemment des primo-adoptants.
Il y a donc tout lieu de croire que les rapports entre presse et jeunesse vont être durablement marqués du sceau des évolutions récurrentes, nécessitant pour la presse d’avoir assez d’agilités numériques et organisationnelles pour accompagner ses lecteurs d’aujourd’hui, de demain et d’après-demain.
Arnaud Mercier, Professeur en Information-Communication à l’Institut Français de presse, Université Panthéon-Assas
This article was originally published on The Conversation. Read the original article.